« La personne la plus vieille ici a 37 ans! », blague Ifat Lev devant la crèche d’une nouvelle colonie israélienne. Au cours de la « décennie Netanyahu », la population a bondi de moitié dans ces colonies qui s’ancrent en Territoires palestiniens.
Début 2017, le président américain Donald Trump, grand allié du Premier ministre Benjamin Netanyahu, s’installe à la Maison Blanche. A plus de 10.000 km de là, des familles de colons plantent leurs caravanes sur un terrain abandonné près de la mer Morte, en Cisjordanie occupée, donnant naissance à Kedem Arava.
Trois ans plus tard, leurs enfants y courent pieds nus, glissent sur un toboggan, se promènent en vélo entre des maisonnettes aux airs de containers.
Dans les Territoires palestiniens, existent deux types de colonies, toutes illégales aux yeux du droit international: celles reconnues par Israël et les autres, nommées « outpost » ou « colonies sauvages » comme Kedem Arava, la première de ce type fondée sous l’ère Trump.
Sans la reconnaissance du gouvernement, la quarantaine de familles sur place ne peut construire de maisons avec des fondations.
Ce jour-là, des ouvriers arabes équipés de mini-pelleteuses enrobent le bas des maisons temporaires de ciment pour leur donner un air pérenne tandis que l’un d’eux, la barbe charbonneuse, se tourne vers La Mecque pour prier.
Les colons de Kedem Arava ne se considèrent pas comme des « extrémistes », mais comme les résidents d’une nouvelle banlieue-dortoir à une trentaine de km de Jérusalem.
« Ici, c’est un paradis pour les enfants », dit Ifat, mère de 32 ans.
Un appartement de trois chambres lui coûte environ 1.400 shekels par mois (450 euros), trois fois moins environ qu’à Jérusalem.
– « C’est chez nous » –
Employé d’une firme high-tech, Ptachia Rechel fait l’aller-retour chaque jour, pour profiter des salaires plus élevés à Jérusalem sans tirer un trait sur la nature.
« Nous ne sommes pas ici par choix idéologique, mais parce que nous aimons le sentiment de communauté », dit ce grand gaillard, en sciant du bois pour ajouter une terrasse à sa modeste maison.
« Cette implantation est nouvelle, mais elle sera grande », assure Israël Rosenfeld, qui gère la colonie.
« C’est chez nous ici, nous n’avons pas d’autre endroit où vivre, c’est ici que j’ai grandi (dans les colonies) et que mes enfants sont venus au monde », dit ce jeune père qui ne voit « aucune différence » entre les colonies et Israël.
« C’est pourquoi nous devons être partie intégrante d’Israël », dit-il, plaidant pour l’annexion des quelque 130 colonies de Cisjordanie proposée par le plan Trump pour le Proche-Orient en janvier et défendue par M. Netanyahu.
Pour les législatives de lundi, ce dernier multiplie les annonces de constructions de logements dans les colonies, courtisant ainsi un électorat dont il a participé à l’essor.
Selon les autorités, plus de 450.000 Israéliens –dont la moitié a moins de 18 ans– vivent dans les colonies en Cisjordanie occupée parmi 2,7 millions de Palestiniens, soit une hausse de 48% en 10 ans.
Environ 20.000 unités de logements ont été construites pendant la décennie Netanyahu.
Le nombre d’unités approuvées à la construction a bondi de 90% sous l’ère Trump, selon les données de l’ONG israélienne anticolonisation « La Paix Maintenant », le gouvernement visant le million d’habitants dans les colonies d’ici la fin de la prochaine décennie.
« Nous ne donnerons pas un centimètre de la terre d’Israël aux Arabes, mais pour cela il faut y construire », a martelé jeudi le ministère de la Défense Naftali Bennett.
– « Ma patrie » –
Les petites colonies comme Kedem Arava deviendront peut-être un jour des villes comme Ariel, colonie disposant de centres commerciaux et d’une université, ou des mini-régions comme le Goush Etzion et son chapelet de colonies pavillonnaires, dans lesquelles naît une troisième, voire une quatrième génération de colons.
« Ici, ce n’est pas une colonie, c’est ma patrie. (…) Nous ne nous posons pas la question de savoir si nous devrions être ici. Nous sommes ici, point », lance Yehuda Leuchter, musicien à la barbe broussailleuse, qui a grandi et vit avec sa femme et ses cinq enfants dans le Goush Etzion.
Pour les Palestiniens, des pays européens et des ONG, la multiplication et l’ancrage des colonies complique, voire empêche, la création d’un Etat palestinien viable avec une continuité territoriale.
Eliaz Cohen, travailleur social, se souvient lui d’une jeunesse dans les colonies marquée par la volonté d’apprendre l’arabe, de côtoyer des Palestiniens sans enceinte grillagée autour de son implantation.
« Les relations n’étaient pas chaleureuses, mais au moins il y en avait », soutient cet habitant du Goush Etzion, qui veut tisser des liens avec les villages arabes avoisinants.
Depuis la seconde Intifada (soulèvement palestinien) et la construction de la barrière de sécurité entre Israël et la Cisjordanie au début des années 2000, « c’est comme si une barrière avait été plantée dans nos coeurs et nos âmes. Et le défi de partager la terre côte à côte, ensemble, devient de plus en plus difficile… »