Bissau: un candidat à la présidentielle se fait investir malgré la contestation

L’un des candidats à la présidentielle en Guinée-Bissau, Umaro Sissoco Embalo, a prévu de se faire investir président jeudi dans un hôtel de luxe de Bissau, malgré la contestation persistante autour du résultat de l’élection dans ce pays à l’histoire tumultueuse.

M. Embalo compte se faire introniser dans un établissement placé sous bonne garde militaire, alors que la Cour suprême est toujours saisie d’un recours de son adversaire au second tour de la présidentielle du 29 décembre.

Le Premier ministre en exercice, Aristides Gomes, reconnu par la communauté internationale, a dénoncé une tentative de « coup d’Etat » de la part de M. Embalo, dans un pays qui en est coutumier.

M. Embalo, ancien général, ex-Premier ministre et candidat de l’opposition au parti historique PAIGC, a été donné vainqueur par la commission nationale électorale avec 53,55% des voix.

La commission crédite de 46,45% des votes son adversaire Domingos Simoes Pereira, président du Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap Vert (PAIGC), la formation qui domine la politique de cette ancienne colonie portugaise depuis son indépendance en 1974.

M. Pereira et le PAIGC dénoncent des fraudes, réclament qu’on recompte les bulletins et s’en remettent à la Cour suprême d’une décision finale. La Guinée-Bissau se retrouve ainsi en proie depuis deux mois à un imbroglio post-électoral dont n’a pas besoin ce petit pays pauvre d’environ 1,8 million d’habitants confronté à une multitude de défis.

M. Embalo, 47 ans, qui a fait campagne sur le thème de la rupture avec le PAIGC, dit que la décision n’appartient pas à la Cour suprême et fait valoir que la commission électorale, sommée par la Cour suprême de vérifier les résultats, les a confirmés à plusieurs reprises.

– L’inconnue internationale –

Il a choisi de passer outre l’arrêt attendu de la Cour suprême, mais aussi l’approbation du président en exercice du Parlement. Le déploiement d’un dispositif militaire important dans et autour de l’hôtel où a lieu la cérémonie indique que l’armée, acteur de bien des crises bissau-guinéennes, a choisi de laisser faire.

On ignore la réaction de la communauté internationale. La Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédeao), partenaire et médiatrice historique dans le pays, a félicité M. Embalo en janvier. Sollicitée à plusieurs reprises pour savoir si M. Embalo serait à présent considéré officiellement comme le président, elle n’a pas répondu.

Egalement interrogé par l’AFP, le département d’Etat américain a renvoyé mercredi aux félicitations adressées en janvier à M. Embalo par les Etats-Unis.

Cet imbroglio est le dernier épisode en date d’une histoire contemporaine chaotique. Depuis l’indépendance, la Guinée-Bissau a connu quatre coups d’Etat et seize tentatives plus ou moins avancées, plus qu’aucun pays dans le monde en dehors de la Somalie, selon un centre de recherche.

Le dernier putsch remonte à 2012. Depuis la présidentielle de 2014, le pays s’est engagé sur la voie d’un retour à l’ordre constitutionnel, ce qui ne l’a pas préservé de turbulences à répétition, mais sans violence, entre le camp du chef de l’Etat sortant José Mario Vaz et celui du chef du PAIGC.

La stabilité est pourtant un enjeu majeur. Le pays est l’un des plus démunis du monde. L’instabilité et la pauvreté y ont favorisé l’implantation de narcotrafiquants, qui utilisent le territoire pour faire transiter la cocaïne d’Amérique latine vers l’Europe, avec la complicité suspectée de cadres de l’armée.

La Guinée-Bissau était classée 172e sur 180 pays en 2018 par Transparency International, ONG spécialisée dans la lutte contre la corruption.

Face à ses maux, le pays a un pressant besoin de réformes auxquelles la paralysie des dernières années ne s’est pas prêtée.

Niger: importantes surfacturations dans des achats d’équipements pour l’armée

Un audit demandé par le président nigérien Mahamadou Issoufou révèle des surfacturations ainsi que des livraisons non-effectuées dans des achats d’équipements pour l’armée, qui combat depuis 2015 les jihadistes dans le sud-est et l’ouest du pays, indique jeudi un communiqué du gouvernement.

Cet audit a relevé « des insuffisances dans les procédures de passation des marchés » ainsi que « dans le suivi de leur exécution », souligne un communiqué lu à la radio publique par le porte-parole du gouvernement, Zakaria Abdourahamane.

« Le gouvernement a décidé de faire rembourser les montants indûment perçus, soit en raison de surfacturation, soit au titre de paiement de services et livraisons non effectuées ou partiellement effectuées », affirme le texte qui ne précise pas les montants concernés, ni les personnalités mises en cause.

Il a également décidé de « transmettre aux tribunaux compétents les dossiers des fournisseurs qui refuseraient de s’exécuter » et « de prendre les sanctions administratives appropriées à l’endroit des agents publics incriminés ».

L’audit a été mené sous la supervision du ministre de la Défense Issoufou Katambé, un proche du chef de l’Etat, nommé à ce poste en septembre 2019. Dès sa prise de service, M. Katambé avait entrepris une tournée d’inspection de plusieurs positions de l’armée, notamment sur les front sud-est, proche du Niger, et ouest, frontalier du Mali et du Burkina.

L’audit a porté sur « la dilapidation » de milliards de FCFA (millions d’euros) « destinés à l’armement et à l’équipement des forces armées nigériennes », impliquant des hommes d’affaires et des responsables gouvernementaux, selon des journaux privés nigériens. Des investigations ont été menées en Russie, en Israël et en Chine et portent sur des achats « de munitions et matériels défectueux » , d’après les journaux.

Entre décembre 2019 et janvier 2020, près de 200 soldats nigériens ont été tués dans des attaques revendiquées par l’Etat islamique (EI) dans la région de Tillabéri, vaste région instable de près de 100.000 km2, riveraine de la zone des trois frontières (Niger, Burkina Faso et Mali).

Tout le Sahel – en particulier le Mali, le Niger et le Burkina – est visé par les assauts de plus en plus audacieux de groupes islamistes, en dépit du renforcement des armées locales et de la présence de 4.500 militaires français de la force antiterroriste Barkhane. Selon l’ONU, les attaques jihadistes au Mali, au Niger et au Burkina ont fait 4.000 morts en 2019.

Wanindara, épicentre de la contestation anti-Condé dans la banlieue de Conakry

L’ami de Mamadou Diallo n’est jamais venu au rendez-vous convenu pour regarder la Ligue des champions de foot après la prière du soir. Il est mort ici à Wanindara, banlieue de Conakry et bastion de l’opposition guinéenne au président Alpha Condé.

C’était en novembre 2018, avant le début de la mobilisation dirigée aujourd’hui contre un éventuel troisième mandat de M. Condé.

L’opposition multipliait alors les journées ville morte et les manifestations autour d’enjeux municipaux. Mamadou Bella Baldé, 30 ans, était tombé en sortant de chez lui sur des militaires, qui avaient « ouvert le feu », avait à l’époque expliqué à l’AFP un membre de sa famille.

Son ami se souvient avoir fondu en larmes en voyant son corps. Il est toujours très ému alors que la Guinée est à nouveau le théâtre de manifestations, parfois durement réprimées, contre le projet prêté au président Condé de chercher à se succéder à lui-même fin 2020.

Depuis mi-octobre, au moins 30 civils et un gendarme ont été tués au cours de ces événements qui inquiètent la communauté internationale, selon un décompte de l’AFP.

Une fois de plus, Wanindara est au coeur de la contestation, à l’approche d’un référendum constitutionnel et de législatives que l’opposition entend boycotter et même empêcher dimanche, faisant craindre de nouvelles violences.

« On tire sur les gens, on arrête les gens, on frappe les vieux, on utilise une femme comme bouclier humain. Dans quel pays cela se passe-t-il ? Il n’y a qu’en Guinée que cela arrive », se lamente Mamadou Diallo.

– Image de la Guinée –

Le quartier qui a vu le jour à la fin des années 1970, pauvre mais pas plus qu’un autre selon les standards guinéens, a des airs de village. Ses petites rues en sable parsemées de nids-de-poule mènent à des maisons aux murs sales. Du linge pend aux fenêtres et des vaches fouillent des tas d’ordures à la recherche de nourriture, pendant que des chiens errants s’abritent du soleil sous les camions. En pagne de wax, des femmes vont puiser de l’eau dans un forage collectif.

Wanindara est un des fiefs les plus turbulents de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG), le principal parti d’opposition. Ses habitants dénoncent la persistance de violences policières et de disparitions sous le régime d’Alpha Condé.

« La police vient et tire à balles réelles », dit Ibrahim Barry, en expliquant que son fils a été tué le 13 février en allant jouer au football.

Le gouvernement accuse l’opposition d’être à l’origine des violences, à Wanindara comme ailleurs, et lui reproche d’instrumentaliser les victimes pour « salir l’image la Guinée et de la police ».

Assis dans son bureau climatisé sous un portrait d’Alpha Condé, le ministre de la Sécurité, Albert Damantang Camara, évoque une « guérilla urbaine ». « A qui profitent ces morts-là? Qui a intérêt à ce qu’il y ait des morts et qu’on les mette sur le dos des forces de sécurité ? », déclare-t-il à l’AFP.

Même si les partis s’affirment pluralistes, les affiliations se font largement en fonction de l’origine ethnique. Le Rassemblement du peuple de Guinée (RPG) d’Alpha Condé recrute largement parmi les Malinkés, deuxième ethnie du pays, tandis que l’UFDG est soutenue par de nombreux Peuls, qui se sentent abandonnés par le pouvoir, selon l’analyste Kabinet Fofana.

– Axe du mal ou de la démocratie –

Initialement quartier militaire, Wanindara a connu un afflux de population, principalement peule, à la fin des années 1990, selon un chef de quartier, Abou Bangoura. Son activisme politique a vu le jour sous le régime autoritaire de Lansana Conté (1984-2008) et s’est poursuivi sous la présidence Condé, premier président démocratiquement élu en 2010 après un demi-siècle de régimes autoritaires.

La voie rapide qui jouxte le quartier, la route Le Prince, est surnommée, selon les camps, « l’axe de la démocratie » ou « l’axe du mal ».

Un adolescent a encore été tué la semaine dernière pendant des heurts.

Toutes les manifestations n’ont pas été paisibles, reconnaît le chef de quartier Abou Bangoura. Mais de nombreux jeunes expliquent que, s’ils sont descendus dans la rue et ont lancé des projectiles sur les forces de sécurité, c’est pour empêcher qu’elles « fassent du mal » à leurs parents.

Le ministre de la Sécurité affirme qu’il n’y a pas de preuve de la responsabilité des forces de l’ordre et que des enquêtes sont « systématiquement ouvertes ». Douze membres des forces de sécurité ont également été tués dans les heurts, dit-il, un chiffre que l’AFP n’a pas pu vérifier de source indépendante.

Le comportement des policiers, gendarmes et militaires guinéens est dénoncé de longue date par les défenseurs des droits humains. « Tout pointe vers leur responsabilité », estime François Patuel, d’Amnesty International, en invoquant l’existence d’un nombre « incalculable » de témoins.

Incident diplomatique: l’ambassadeur malien en France rappelé à Bamako

Incident diplomatique entre Paris et Bamako: l’ambassadeur malien en France, qui a accusé mercredi des soldats français de « débordements » dans les quartiers chauds de Bamako, a été rappelé dans son pays après avoir provoqué l’ire des autorités françaises pour des propos « faux et inacceptables ».

Au lendemain des déclarations très mal reçues de l’ambassadeur Toumani Djimé Diallo au Sénat incriminant la Légion étrangère, le Mali a décidé jeudi de rappeler son diplomate et de dépêcher son ministre des Affaires étrangères en France pour arrondir les angles, selon des responsables maliens.

Le ministre malien des Affaires étrangères, Tiébilé Dramé, devait partir jeudi soir pour Paris « pour apaiser la situation », d’après une source proche de la présidence.

« Cette visite rentre dans le cadre du renforcement des relations d’amitié et de coopération entre les deux pays », renchérit un communiqué des Affaires étrangères maliennes.

L’ambassadeur malien avait été convoqué plus tôt jeudi au ministère français des Affaires étrangères, a appris l’AFP. « On lui a exprimé notre indignation devant ses propos sans fondement et choquants de la part d’un pays allié dans la lutte contre le terrorisme », a-t-on souligné au Quai d’Orsay.

La veille, l’ambassadeur du Mali en France avait dénoncé devant la commission Défense du Sénat français les « problèmes » posés selon lui par la Légion étrangère sur le sol malien.

« Par moments, dans les +Pigalle+ de Bamako, vous les retrouvez, tatoués sur tout le corps, en train de rendre une image qui n’est pas celle que nous connaissons de l’armée (française). Ça fait peur, ça intrigue », avait-il déclaré, mentionnant explicitement les légionnaires, pourtant absents de la capitale malienne selon l’état-major.

Des propos très mal vécus à Paris, alors que la force Barkhane fait face depuis de nombreux mois à la montée d’un sentiment anti-français au Sahel, et qu’elle redouble parallèlement d’efforts ces dernières semaines pour tenter d’enrayer la spirale de violences dans la région.

– Huile sur le feu –

Les militaires français, présents dans la région depuis 2013 pour lutter contre les jihadistes, viennent de voir leur nombre passer de 4.500 à 5.100 face à la recrudescence des attaques.

Ces violences – souvent entremêlées à des conflits intercommunautaires – ont fait 4.000 morts au Mali, au Niger et au Burkina Faso en 2019, cinq fois plus qu’en 2016, selon l’ONU.

La France a elle-même perdu 13 soldats dans un accident entre deux hélicoptères en opération au Mali, en novembre. Et Paris s’était ouvertement agacé, fin 2019, d’un soutien jugé trop timide de la part notamment des autorités sahéliennes, dont le Mali.

Au sommet du 13 janvier à Pau (sud de la France), réunissant le président français et les chefs d’Etat du G5 Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Tchad, Mauritanie), les chefs d’Etat africains avaient été ainsi priés par l’Elysée de « clarifier » leur position sur la présence française au Sahel.

Les propos de l’ambassadeur malien ont remis de l’huile sur le feu et provoqué une réaction épidermique jeudi du cabinet de la ministre des Armées, dans une déclaration transmise à l’AFP.

« Plutôt que de véhiculer et de propager de fausses accusations, nous attendons de l’ambassadeur du Mali qu’il mobilise toute son action pour la mise en œuvre des décisions du sommet de Pau et la réussite de tous », a sèchement asséné le cabinet de Florence Parly, rappelant qu’il n’y a « quasiment plus de soldats français stationnés à Bamako » depuis août 2014.

La veille, l’état-major français avait déjà objecté que les légionnaires n’étaient pas « stationnés à Bamako » et qu’il n’avaient pas vocation à y aller. Ils « n’ont ni quartier libre ni temps de repos hors des bases opérationnelles » de Barkhane, situées dans le nord du pays, avait assuré l’armée française.

Le jour de son audition, l’ambassadeur malien avait déjà essuyé un retour plutôt glacial du sénateur Jean-Marc Todeschini, membre de la commission Défense.

« Je ne peux que regretter vos propos. Vous avez stigmatisé l’armée française », avait-il répondu à l’ambassadeur, estimant que ses propos allaient précisément « contribuer » au sentiment anti-français que le Mali s’était engagé à contrer.

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L’UA voit des divergences avec l’UE sur l’homosexualité et la CPI

Le président de la commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a pointé du doigt jeudi les « différences » entre Africains et Européens sur les questions de justice internationale ou de droits des homosexuels, lors d’un sommet destiné à renforcer les liens entre les deux continents.

« Certainement, nous avons nos différences: la justice criminelle internationale, l’orientation et l’identité sexuelle, la peine de mort, la centralité de l’Union africaine dans certaines crises, etc… », a déclaré M. Faki lors d’une conférence de presse marquant l’ouverture à Addis Abeba d’un sommet UA/UE.

Qualifiant ces différences de « normales », il a estimé qu’Africains et Européens devaient les reconnaître et les accepter pour les surmonter.

Le sommet de jeudi marque la deuxième visite de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, au quartier général de l’UA à Addis Abeba, depuis sa prise de fonction le 1er décembre.

Une semaine après avoir commencé à occuper son poste, elle avait choisi la capitale éthiopienne pour son premier déplacement hors de l’UE, afin de lancer un « fort message politique » sur la force du partenariat entre l’Europe et l’Afrique.

Mme von der Leyen travaille actuellement à l’élaboration d’une nouvelle « stratégie africaine » pour l’UE, qui devrait être dévoilée en mars.

Lors de son discours d’ouverture, elle a affirmé que les deux continents étaient des « partenaires naturels », et a mis l’accent sur les secteurs de coopération potentiels pour eux comme le commerce et la lutte contre le réchauffement climatique.

Puis lors de la conférence de presse, elle a estimé que les deux blocs devraient être en mesure de travailler ensemble malgré les divergences mises en exergue par M. Faki.

« C’est l’essence même d’un bon partenariat et d’une bonne amitié », a-t-elle déclaré. « Vous bâtissez sur des fondations solides avec des projets sur lesquels vous pouvez travailler, et vous êtes capables de dire très clairement quelles sont vos différences ».

« Nous essayons de convaincre, mais nous reconnaissons qu’il y a des positions différentes », a-t-elle ajouté. « Nous ne devons pas nous attendre à ce que l’Union africaine s’adapte à l’Union européenne. »

La majorité des pays africains disposent de législations interdisant ou réprimant l’homosexualité, parfois punie de la peine de mort.

Et plusieurs pays africains ont résisté aux efforts de la Cour pénale internationale (CPI) pour juger des dirigeants du continent, le Burundi devenant même en 2017 le premier pays au monde à s’en retirer.

L’UE cherchera à utiliser le sommet de jeudi pour promouvoir le commerce et la coopération économique, afin de répondre « au flot d’investissements chinois sur le continent », a estimé Mikaela Gavas, experte auprès du Center for Global Development (CGD).

Mais la question des droits de l’homme reste un sujet potentiel de confrontation, a-t-elle mis en garde. « Les pays africains ne voudront pas qu’on leur donne des leçons sur la gouvernance et les droits de l’homme. »

Questions autour de l’apparente immunité de l’Afrique face au coronavirus

Détection défaillante, facteur climatique ou simple coup de chance ? Le très faible nombre de cas de coronavirus détectés dans les pays d’Afrique, aux systèmes de santé les plus fragiles, n’en finit pas d’interroger voire d’inquiéter les experts.

A ce jour, seules deux personnes ont été officiellement contaminées par le virus Covid-19 sur le continent, une en Egypte, l’autre en Algérie, pour aucun décès.

Une goutte d’eau dans l’océan des 80.000 cas et 2.800 morts recensés dans une cinquantaine de pays, pour l’essentiel en Chine, où le premier foyer de l’épidémie est apparu dans la ville de Wuhan, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS).

Peu de temps après l’apparition du virus, les spécialistes ont pourtant pointé du doigt les risques de propagation de la maladie en Afrique. A cause de ses liens commerciaux étroits avec Pékin et des faiblesses de son réseau médical.

La semaine dernière, l’OMS a même averti que le continent était mal préparé pour faire face à l’épidémie.

« Notre principale préoccupation continue d’être le potentiel de dissémination du Covid-19 dans les pays dont les systèmes de santé sont plus précaires », a déclaré son patron, Tedros Adhanom Ghebreyesus.

Une modélisation publiée dans la revue médicale The Lancet a fait de l’Egypte, de l’Algérie et de l’Afrique du Sud, qui a annoncé jeudi le rapatriement de 132 de ses ressortissants de Wuhan, les trois pays du continent les plus menacés.

Ils sont aussi, selon l’étude, les moins vulnérables car les mieux préparés à repérer l’infection.

Mais malgré de nombreuses alertes, l’épidémie ne semble pas jusque-là se développer significativement sur le continent.

– Vulnérabilité –

Pourquoi ? Les épidémiologistes se perdent en conjectures.

« Personne ne sait », avoue le Pr Thumbi Ndung’u, de l’Institut africain de recherche sur la santé à Durban (Afrique du Sud). « Peut-être n’y a-t-il simplement pas tant de déplacements entre l’Afrique et la Chine », avance-t-il.

Ethiopian Airlines, la plus importante compagnie aérienne africaine, n’a toutefois jamais suspendu ses liaisons avec la Chine depuis le début de l’épidémie. Et China Southern vient de reprendre ses vols avec le Kenya.

Alors certains avancent la piste d’une possible protection climatique. « Peut-être que le virus ne pousse pas dans l’écosystème africain, on ne sait pas », esquisse le Pr Yazdan Yazdanpanah, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Bichat à Paris.

Une hypothèse rejetée par Pr Rodney Adam, de l’hôpital universitaire Aga Khan de Nairobi (Kenya).

« Nous n’avons aucune preuve d’une quelconque influence du climat sur la transmission (du virus) », assure-t-il, « à l’heure actuelle, il semble que la vulnérabilité des Africains soit la même que celle des autres ailleurs ».

D’autres sont tentés d’attribuer le faible nombre de cas confirmés de coronavirus à de possibles ratés des systèmes de détection déployés dans les pays du continent.

« C’est vrai qu’il y a certains pays, certaines régions dont on n’est pas certain de la capacité, ne serait-ce que par faute de ressources, à mettre en oeuvre les modalités de diagnostic », dit le Dr Daniel Lévy-Bruhl, de l’agence sanitaire française Santé publique France.

– Systèmes en place –

« Il y a un risque que des chaînes de transmission méconnues existent aujourd’hui dans certains pays du monde », ajoute-t-il.

Les spécialistes écartent toutefois le risque d’erreurs de détection massives. « Mais s’il y avait des cas massifs en Afrique, je pense qu’on le saurait car l’OMS est en alerte et beaucoup de gens sont très attentifs », juge le Dr Amadou Alpha Sall, patron de l’Institut Pasteur de Dakar (Sénégal).

« Tous les systèmes sont en place », confirme le Dr Michel Yao, en charge des plans d’urgence pour l’OMS à Brazzaville (Congo).

Le nombre de pays africains disposant de laboratoires capables d’identifier le Covid-19 est passé en quelques semaines de deux (Afrique du Sud et Sénégal) à 29, se félicite le Dr Yao.

Le principe de précaution s’est en outre imposé. Jeudi, Madagascar a interdit son territoire, prisé des touristes, à tous les voyageurs ayant récemment séjourné en Iran, en Italie ou en Corée du Sud, foyers importants de l’épidémie. De son côté le gouvernement de l’archipel touristique du Cap-Vert a décidé jeudi d’interdire pendant trois semaines tous les vols en provenance d’Italie.

Un point faible persiste, souligne toutefois le Dr Yao, la capacité à contenir l’épidémie et à traiter ses victimes.

« La plupart des pays africains ne seraient pas capables de traiter des cas sévères nécessitant des soins intensifs », estime-t-il, « les capacités sont limitées dans les capitales (…) et en dehors, elles sont encore plus faibles… »

Mais plutôt que d’envisager un scénario catastrophe, les spécialistes préfèrent se satisfaire de leur bonne fortune actuelle.

« Il est difficile de dire pourquoi » si peu de cas ont été recensés jusque-là en Afrique, souligne le Pr Thumbi Ndung’u, « peut-être nous avons simplement de la chance ».

L’Union africaine compte déployer 3.000 soldats au Sahel

L’Union africaine (UA) a annoncé jeudi qu’elle comptait envoyer 3.000 soldats au Sahel, pour tenter d’enrayer la progression du jihadisme et la dégradation de la sécurité dans la région, sans toutefois préciser les modalités et le calendrier exact de ce déploiement.

La décision, prise lors du sommet de l’UA début février, n’avait pas encore été rendue publique. Elle a été annoncée en conférence de presse à Addis Abeba par le commissaire de l’UA à la paix et la sécurité, Smaïl Chergui, dans le cadre d’un sommet UA/UE.

« Sur la décision du sommet de travailler au déploiement d’une force de 3.000 hommes pour aider les pays du Sahel à affaiblir les groupes terroristes, je pense que c’est une décision sur laquelle nous allons travailler avec le G5 Sahel et la Cédéao (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest) », a déclaré M. Chergui.

« Cette décision a été prise parce que, comme vous le voyez (…), la menace progresse et devient plus complexe », a-t-il ajouté.

Le G5 Sahel, basé à Nouakchott, et composé de la Mauritanie, du Mali, du Burkina Faso, du Niger et du Tchad, fournit depuis 2014 un cadre de coopération pour la sécurité et le développement de ces cinq pays sahéliens d’Afrique de l’Ouest.

En 2017, face à la poussée des attaques jihadistes et à la sévère dégradation de la sécurité dans le centre du Mali, ainsi qu’au Burkina Faso et au Niger voisins, le G5 Sahel a réactivé son projet de force conjointe, initialement lancé en 2015.

Cette force, qui doit compter à terme 5.000 hommes pour lutter contre les jihadistes dans les zones frontalières entre les pays membres, peine à monter en puissance.

Les conclusions finales du sommet de l’UA n’ont toujours pas été publiées, mais les diplomates ont confirmé le déploiement prévu.

« Le sommet a décidé de déployer environ 3.000 hommes pour une période de six mois pour aider les pays du Sahel à affronter la menace à laquelle ils font face », a déclaré à l’AFP Edward Xolisa Makaya, l’ambassadeur sud-africain auprès de l’UA.

« C’est juste un signe ou un geste de solidarité avec les peuples du Sahel », a-t-il ajouté, disant espérer que ce déploiement aurait lieu « dans le cours de l’année ».

– Appel à contributions –

Mais certaines modalités restent à régler. Aucun pays ne s’est encore officiellement dit prêt à envoyer des troupes, et le mode de financement du projet n’est pas non plus connu.

« Bien entendu, les États membres ont été incités à faire une offre de contribution, et certains l’ont fait durant les discussions. Mais nous n’avons pas le droit de donner leur nom pour le moment », a précisé M. Makaya.

L’Afrique du Sud a pris lors du dernier sommet la présidence tournante de l’UA et envisage d’accueillir un sommet extraordinaire de l’organisation panafricaine sur les questions sécuritaires en mai.

Elissa Jobson, experte auprès de l’International Crisis group (ICG), a exprimé des doutes sur l’efficacité de l’initiative de l’UA.

« Même si c’est bien de voir que les dirigeants de l’Union africaine montrent un réel intérêt pour le conflit au Sahel et sentent qu’ils doivent faire quelque chose, le déploiement de soldats n’est pas forcément la réponse adéquate », a-t-elle estimé.

Ce déploiement devrait « s’inscrire dans une stratégie politique bien conçue, qui devrait aussi inclure le dialogue avec les groupes jihadistes dans la région », a-t-elle ajouté.

Les violences jihadistes – souvent entremêlées à des conflits intercommunautaires -, ont fait 4.000 morts en 2019 au Burkina Faso, au Mali et au Niger, cinq fois plus qu’en 2016, selon l’ONU, malgré la présence de forces africaines, onusiennes et internationales.

Lors de la même conférence de presse, le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrell, a toutefois considéré que la mesure était « très bienvenue ».

« Je pense que nous avons suffisamment de capacité de coordination logistique pour tout gérer ensemble », a-t-il fait valoir.

L’UE et ses États membres ont débloqué quelque 155 millions d’euros pour soutenir la Force conjointe du G5 Sahel depuis sa création, dont près de 70% ont déjà été décaissés.

L’UE a en outre décidé d’un financement additionnel de 138 millions d’euros, confirmé par M. Borrell lors du sommet de Pau entre la France et le G5 Sahel le 13 janvier.

En Caroline du Sud, l’électorat noir a le destin des candidats démocrates en main

Will Jackson a suivi trois des candidats à l’investiture démocrate, mais il n’arrive pas à décider lequel sera capable de battre Donald Trump en novembre. Son vote samedi, comme celui de la communauté noire de Caroline du Sud, sera pourtant un tournant dans la course à la Maison Blanche.

« Mon principal objectif est de voter pour quelqu’un qui battra Trump », souvent perçu par les minorités comme un président raciste ayant libéré la parole des suprémacistes blancs, assure à l’AFP cet ancien combattant de 73 ans.

Après trois scrutins disputés dans des Etats majoritairement blancs (Iowa, New Hampshire) ou à forte minorité hispanique (Nevada), celui de Caroline du Sud est le premier où la communauté afro-américaine aura une influence décisive.

Dans cet Etat, 60% des Noirs votent démocrate et leur soutien est crucial pour devenir l’adversaire du milliardaire républicain à la présidentielle de novembre.

Casquette de l’armée vissée sur la tête, M. Jackson a successivement suivi Pete Buttigieg, premier homosexuel à avoir une réelle chance d’obtenir l’investiture, l’ancien vice-président Joe Biden lors d’une réunion à Georgetown, puis le milliardaire et philanthrope Tom Steyer à Myrtle Beach.

Mais il reste indécis, alors que le scrutin de Caroline du Sud pourrait en outre influencer les résultats du « Super mardi » le 3 mars, quand voteront 14 Etats dont plusieurs avec une démographie similaire.

La Caroline du Sud est « un bon baromètre du vote des électeurs noirs au niveau national », dit à l’AFP Robert Greene, professeur d’histoire à l’Université Claflin. Et historiquement, tous les vainqueurs de la primaire dans l’Etat ont emporté l’investiture, à une exception près en 2004.

– Un candidat qui a ses chances –

« Joe Biden serait un grand président et s’il gagne, cela lancera sa campagne », explique Will Jackson. L’ancien vice-président américain, très populaire parmi la minorité noire, compte sur le scrutin de samedi pour revenir dans la course après des débuts ratés.

Ancien numéro deux de Barack Obama, premier président noir des Etats-Unis, Joe Biden s’est dit cette semaine sûr de sa victoire samedi grâce au soutien de cet électorat, son « pare-feu » comme le qualifie la presse locale.

« C’est la base de mon soutien, durant toute ma carrière. C’est l’une des raisons pour lesquelles Obama m’a choisi », a affirmé mardi M. Biden lors du dernier débat démocrate à Charleston.

A Georgetown, Ama Saran, retraitée d’une soixantaine d’années, fait la queue pour une réunion publique de M. Biden. Elle salue son « expérience » et voit en lui un « guerrier ».

Les autres candidats « ont toute une palette de choses qu’ils espèrent faire, mais qui ne se concrétiseront probablement pas », explique-t-elle.

« Je veux soutenir quelqu’un qui sait ce dont a besoin ce pays et qui a déjà montré qu’il sait comment lui fournir », dit Mme Saran.

La question est de savoir si, à 77 ans et après de multiples gaffes depuis le début de la campagne, M. Biden reste un candidat qui a des chances d’être élu face à Donald Trump.

Pour Kendall Deas, professeur de sciences politiques à l’Université de Charleston, Joe Biden « est connu des électeurs afro-américains (de l’Etat) et cela aide » mais « ils l’ont aussi vu trébucher » lors des premiers scrutins alors qu’il était en tête des sondages nationaux.

Il est donc normal que ces électeurs « considèrent les autres options et regardent qui sont les autres candidats ».

Bernie Sanders, qui fait désormais figure de grand favori malgré son étiquette « socialiste », attire les minorités en promettant un système de santé universel et gratuit.

Tom Steyer, qui finance sa campagne à coups de centaines de millions de dollars, veut lui indemniser les descendants d’esclaves.

La primaire de samedi est aussi cruciale pour Pete Buttigieg qui, à 38 ans, s’est fait critiquer pour sa gestion des problèmes raciaux à South Bend, ville moyenne de l’Indiana dont il a été maire de 2012 à 2020.

« Mayor Pete » a tenté de rassembler cette semaine en rencontrant le très respecté révérend Al Sharpton.

« Je suis conscient que je ne saurai jamais ce que ça fait de marcher dans la rue et de sentir les regards, d’être considéré dangereux à cause de ma couleur de peau », a-t-il déclaré. « Donc le mieux que je puisse faire est d’écouter ceux pour qui c’est le cas (…) et leur demander de construire une vision. »

Grèce: toujours des manifestations anti-migrants, appel au dialogue

Plus d’un millier d’habitants de Lesbos ont manifesté jeudi à Mytilène, chef-lieu de l’île, contre un nouveau camp de migrants, le gouvernement appelant au dialogue au lendemain de violents affrontements entre manifestants et policiers.

Plusieurs associations de commerçants de Lesbos et des syndicats proches du parti communiste grec, à l’origine de la manifestation, ont également appelé à la poursuite de la grève sur l’île. Les magasins étaient fermés jeudi pour la deuxième journée consécutive.

« Ni de camp fermé, ni de camp ouvert sur les îles », scandaient les manifestants qui ont marché pacifiquement.

Sur l’île proche de Chios, des centaines de personnes ont également manifesté jeudi et poursuivi la grève.

L’ambiance était plus calme sur ces îles jeudi après les violents incidents de mercredi ayant fait plus de 60 blessés, la plupart des policiers des forces anti-émeutes.

Après des semaines de pourparlers infructueux avec les autorités locales, le gouvernement avait envoyé lundi par bateau des engins de chantier et la police anti-émeutes, provoquant l’indignation des insulaires et les critiques de l’opposition de gauche.

« L’écrasante majorité des forces anti-émeutes ont quitté jeudi matin les îles et rentreront en Grèce continentale », a confirmé jeudi à l’AFP un porte-parole de la police, Thodoros Chronopoulos.

« 43 policiers ont été blessés légèrement à Lesbos mercredi mais ils sont hors de danger », a-t-il précisé.

Le porte-parole du gouvernement Stelios Petsas a indiqué que « la première phase des travaux de terrassement s’est achevée sur les sites de construction ( des camps à Lesbos et Chios) et que les forces policières devaient rentrer ».

– Face-à-face tendu –

La Grèce est redevenue en 2019 la première porte d’entrée en Europe des demandeurs d’asile. Devant l’augmentation du flux migratoire, le gouvernement conservateur avait annoncé en novembre que les camps surpeuplés de Lesbos, Samos et Chios en mer Egée seraient fermés cette année.

Ils seront remplacés par de nouvelles installations « fermées » d’une capacité d’au moins 5.000 personnes chacune, qui devraient être opérationnelles mi 2020, selon le gouvernement.

Plus de 38.000 demandeurs d’asile s’entassent dans des conditions sordides dans les camps actuels des îles de Lesbos, Samos, Chios, Leros et Kos, officiellement prévus pour 6.200 personnes.

Mais les habitants des îles s’opposent à la construction de nouveaux camps: vivant avec les migrants depuis 2015, année de la grande crise migratoire, ils réclament leur transfert en Grèce continentale et la construction de petits centres d’enregistrement d’un millier de personnes chacun.

« L’île est devenue une immense prison de migrants (…) nous avons exprimé notre solidarité toutes ces années, mais il faut décongestionner les îles », a indiqué Michael Hakas, 47 ans, employé à l’université de Mytilène, qui a manifesté jeudi.

Mercredi à Lesbos, le face-à-face tendu entre habitants et forces anti-émeutes a duré toute la journée: des centaines de personnes rassemblées à Antamanides, un village proche du site de construction d’un nouveau camp, ont jeté des pierres vers la police, qui a riposté avec du gaz lacrymogène, des grenades assourdissantes, un canon à eau et des balles en plastique, selon un photographe de l’AFP.

– Appel au dialogue –

Mercredi soir, environ 2.000 personnes ont manifesté devant une caserne où se trouvaient les policiers avant de tenter d’y pénétrer. La police anti-émeutes a riposté avec du gaz lacrymogène tandis que certains habitants ont tiré avec leurs carabines de chasse, selon un photographe de l’AFP.

A Chios, 2.000 personnes ont aussi manifesté contre la construction d’un nouveau camp. Selon des médias locaux, un groupe de manifestants a fait irruption dans une chambre d’hôtel occupée par des policiers et les a tabassés, en blessant huit.

Le Premier ministre Kyriakos Mitsotakis a indiqué jeudi lors d’un conseil des ministres qu’une enquête serait ouverte après les dénonciations sur « l’usage de violence disproportionnée » par des habitants des îles où, selon lui, « il faut isoler les éléments extrêmes ».

Il a appelé les maires des îles à participer à une réunion jeudi soir à Athènes en vue d’apaiser la situation.

« Il faut privilégier le dialogue, la guerre a besoin d’une trêve », a indiqué jeudi Stigmatisé Karmans, le maire de Chios, à la radio RealFm, soulignant qu’il allait se rendre à Athènes pour participer à la réunion avec le Premier ministre.

Italie: scènes de vie quotidienne après cinq jours de quarantaine

Le banc de l’abribus sert de point de livraison. Ceux de « l’extérieur » viennent y déposer packs d’eau, cigarettes et papiers administratifs pour leurs proches coincés depuis maintenant cinq jours en « zone rouge », foyer d’infection du coronavirus dans le nord de l’Italie.

Une petite vie sociale s’est peu à peu organisée aux 35 checkpoints qui parsèment la plaine lombarde et ceinturent dix villes et villages, soit plusieurs dizaines de milliers de personnes.

Les quelque 400 militaires et policiers qui surveillent les checkpoints se relaient par équipes toutes les six heures. Quelque peu laxistes les premiers jours, les contrôles se sont durcis, et l’organisation semble désormais bien rodée.

Quant aux habitants de la zone rouge, les « pestiférés », comme se surnomme l’un d’entre eux en riant, ils viennent quotidiennement jusqu’au barrage discuter avec les militaires, respirer la vie de l’extérieur, prendre livraison de paquets divers.

Salvatore, habillé de la tête au pied en tenue de cycliste, plaisante avec les militaires du barrage. Lui-même est carabinier -et pour cette raison refuse de donner son nom de famille-, coincé à Bertonico en zone rouge, où il continue pourtant de patrouiller le soir.

« J’attends mes collègues de Lodi qui vont m’apporter des cigarettes. Dans la zone rouge, à part les magasins d’alimentation et les kiosques à journaux, tout est fermé », explique-t-il.

– « On marche » –

Arrivent ses deux collègues. Les « Ciao » fusent de part et d’autre de l’abribus, où sont déposées les cigarettes. Distance réglementaire de plusieurs mètres entre l’habitant de la zone rouge et les autres. Une fois ses amis éloignés, Salvatore va récupérer le paquet et laisse sur le banc des dizaines d’euros en liquide : « c’est pour la facture à payer à Lodi », explique-t-il.

Toute la matinée, ces scènes se répètent. Une dame vient apporter des provisions à sa belle-soeur et repart en lançant un sonore « Bonne journée à tous » en direction des militaires. Un vétérinaire récupère des médicaments pour ses bovins. Un comptable passe déposer ses factures et ses impôts à payer à Lodi, hors zone rouge.

Après cinq jours de quarantaine, une fois retombée l’adrénaline créée par une situation exceptionnelle, l’ennui pointe son nez. Alors « on marche ». Sous le soleil radieux, on aperçoit derrière le barrage des familles en promenade, des cyclistes, des joggeurs. « Il n’y a rien d’autre à faire. Heureusement que nous ne sommes pas confinés chez nous », raconte Pietro Mola, un jeune comptable venu au checkpoint pour confier à des amis ses factures à payer.

Mais l’inquiétude grandit – « pas à cause du virus, après tout c’est comme une mauvaise grippe, non ? » – mais en raison des répercussions économiques. Pietro Mola travaille pour 16 entreprises: restaurants, boutiques textiles, pierceur, tatoueurs… Tous dans la zone rouge, tous fermés.

« C’est une chaîne. S’ils ne gagnent pas, je ne gagne pas. Les entreprises qui n’ont pas les reins solides ne vont pas s’en sortir », s’inquiète le jeune comptable, en pensant aux dix jours de quarantaine durant lesquels il faut encore tenir.